En Alsace, comprendre et bien rénover le bâti ancien est un enjeu partagé par deux services de l’État, la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) et la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC)
Le parc bâti ancien alsacien, construit avant 1948, constitue un tiers du parc d’habitation régional. Il représente, de ce fait, un gisement important d’économie d’énergie et est amené à participer pleinement à l’enjeu de la transition énergétique.
Or, il diffère du parc bâti plus récent par ses modes constructifs et matériaux traditionnels, et surtout, il est porteur de valeurs patrimoniales et paysagères. Les rénovations énergétiques de ce bâti ne doivent donc pas se faire de la même façon que celles du bâti plus récent, car certains choix techniques peuvent entraîner des pertes patrimoniales, altérer l’aspect architectural, ou induire des pathologies diverses allant jusqu’à mettre en péril les structures.
Ceci est globalement connu des spécialistes du patrimoine, mais n’est pas largement partagé, ni par l’ensemble des maîtres d’œuvre et d’ouvrage, ni par les institutionnels. De plus, on prête souvent à ceux qui alertent, notamment aux architectes des bâtiments de France, une posture d’opposant à toute action. Il s’agit d’une incompréhension : les architectes des bâtiments de France partagent l’évidence que pour que le bâti ancien soit conservé, il faut qu’il reste habité, et donc qu’il reste attractif. C’est pour cela qu’ils sont des acteurs, au côté de la DREAL Grand Est, de la lutte contre la précarité énergétique et de la redynamisation des centres bourgs.
Pour essayer de dépasser ce qui apparaît comme des antagonismes, et face au constat de l’absence de données scientifiques sur les conséquences des gestes de rénovation courants, les ABF d’Alsace, la CRMH et la DREAL Alsace, ont mené une étude1
, avec pour objectifs d’apporter des données objectives sur le comportement thermique du bâti ancien, de mettre en évidence les erreurs à éviter et proposer des gestes de rénovation adaptés, ainsi que permettre d’expliciter et partager les arguments tant techniques, architecturaux, que patrimoniaux.
Une étude approfondie, menée sur quatre ans, de 2010 à 2015
Publiée en deux phases, « Comprendre » (septembre 2014) et « Agir » (septembre 2015), elle a été menée par le Cerema et le cabinet d’architecte du patrimoine Oziol-De Micheli, en conviant l’ensemble des partenaires locaux engagés dans la rénovation énergétique des bâtiments (Région, Parcs naturels régionaux, Caue…) à donner leur point de vue sur le déroulement de l’étude, au sein d’un groupe de travail qui a suivi l’ensemble de la démarche.
Une typologie thermique du bâti antérieur à 1948 a d’abord été définie, pour la première fois en Alsace. Semblable à celle développée par le programme BATAN mené par le Cerema (anciennement CETE de l’Est) avec l’association Maisons Paysannes de France, elle est plus complexe qu’une simple typologie architecturale, puisqu’elle prend en compte les caractéristiques d’implantation, de volumétries, de modes constructifs et matériaux. Puis sept logements représentatifs ont été sélectionnés, instrumentés (caméra thermique, test à la porte soufflante, mesures de température et d’humidité relative) et étudiés (paramètres thermiques et hygriques), pendant sept mois en moyenne.
Ces observations ont permis d’une part de tirer des conclusions sur le comportement thermique réel du bâti ancien avant rénovation, mais d’autre part -et ceci va plus loin que les études précédentes-, ces observations ont permis de modéliser sept logements-types grâce à des logiciels de thermique dynamique et d’hygrothermique, sur lesquels un large panel de gestes de rénovation énergétique a été testé.
Trois scénarios de rénovation, qui prévoient tous des actions compatibles avec le bâti ancien, ainsi qu’un remplacement des systèmes de chauffage, une ventilation mécanique et un calfeutrement des fuites d’air, ont été proposés pour chaque type : le premier choisit toutes les actions les plus efficaces pour obtenir un gain énergétique important, c’est-à-dire le niveau BBC Rénovation ; le deuxième propose d’intervenir sur les éléments de l’enveloppe occasionnant les plus fortes pertes de chaleur ; le troisième, privilégie les actions d’amélioration énergétique les plus favorables à la préservation du patrimoine et propose d’agir principalement sur les planchers hauts et bas. Ces scénarios ont été évalués selon cinq critères : gain énergétique, confort d’été, diminution de l’effet de paroi froide en hiver, absence de risque lié à l’humidité dans les murs, respect de l’aspect patrimonial et architectural. Ce critère « patrimoine et architecture », complexe, qui aurait pu paraître subjectif et relevant d’une critique arbitraire, a fait l’objet d’un véritable travail d’explicitation de façon à ce qu’il puisse être au maximum objectivé, partagé, et évalué. Il est construit en prenant en compte la hiérarchisation des enjeux patrimoniaux, le respect des grands principes de restauration du patrimoine et la préservation de l’habitabilité des espaces. Les différents matériaux d’isolation, courants et innovants, ont pu ainsi être comparés (avantages, risques, coûts). Enfin, les coûts globaux des travaux ont été estimés, tant en termes de rentabilité que de soutenabilité pour les ménages (capacité du ménage à financer les travaux), et ont été comparés au coût de l’inaction en euros et tonnes de CO2 non émises.
Les résultats de l’étude prouvent qu’il est possible de concilier Énergie et Patrimoine
L’étude révèle, en premier lieu, les qualités intrinsèques du bâti ancien alsacien, avant même toute rénovation :
• son étiquette-énergie est proche voire au-dessus de la moyenne nationale (alors que celle-ci prend en compte l’ensemble du parc bâti, y compris récent), ce qui représente donc des performances thermiques plutôt bonnes, compte tenu du climat de l’Alsace, défini comme rigoureux ;
• son très bon confort d’été lié à sa bonne inertie, la quasi-absence de ponts thermiques et l’équilibre hygrothermique des parois (il n’y a pas de péril pour les maçonneries anciennes lorsque les transferts d’humidité peuvent s’effectuer) ;
• le rôle bénéfique du point de vue thermique des espaces-tampons (combles, appentis, caves…) et du dispositif traditionnel des « Schlupf » (espaces vides d’environ 80 cm de large entre les maisons) ;
• les menuiseries ne représentent qu’une part limitée des déperditions thermique, alors qu’elles sont porteuses d’une partie de l’enjeu patrimonial et sont essentielles dans l’écriture architecturale : les remplacer n’est le plus souvent pas l’action la plus déterminante pour améliorer la performance énergétique. En effet, il ne faut pas confondre l’effet de paroi froide lié au simple vitrage, avec les fuites liées au défaut d’étanchéité à l’air, qui peuvent être corrigées ;
• les fuites d’air, liées à l’usure du bâti ou aux divers percements (trappes, caisson de volets roulants…), constituent un poste très important de déperditions thermiques, presque équivalent, et dans certains cas supérieurs (appartements), aux déperditions par les parois. Cependant, l’aération quotidienne pour assurer un renouvellement d’air du logement reste indispensable et ne diminue que légèrement la performance énergétique.
L’étude démontre les bons résultats en termes de gain énergétique qui peuvent être obtenus grâce aux travaux de rénovation:
• le bon entretien du bâti et la limitation des fuites d’air est déjà en soi une action efficace permettant de gagner au moins une classe d’étiquette-énergie ;
• une amélioration énergétique importante (BBC Rénovation) peut être atteinte, selon le scénario 1, tout en respectant les caractères principaux des façades, des toitures et des menuiseries, en isolant les murs par l’intérieur et planchers et en améliorant les menuiseries existantes. L’isolation par l’extérieur n’est pas le seul procédé si l’on veut atteindre des niveaux de gain énergétique performants ;
• d’autres approches sont également possibles, selon les scénarios 2 et 3, pour gagner une à deux classes d’étiquette-énergie, en favorisant d’autres critères que celui de la performance énergétique : limiter les coûts, agir par étapes, préserver les surfaces habitables, privilégier une préservation plus complète de la qualité patrimoniale et architecturale du bâti, ou encore éviter les risques liés à l’humidité dans les parois, risques induits par certains travaux. Notamment, les conclusions de l’analyse du scénario 3 interpellent. En, effet, intervenir sur les planchers, la ventilation, le système de chauffage et les fuites d’air, tout en ne touchant pas aux murs et aux fenêtres, permet de réduire de façon significative les consommations énergétiques et de répondre aux objectifs fixés par le Grenelle, c’est-à dire une réduction de 38 % de la consommation énergétique.
L’étude met en exergue des points de vigilance :
• la pose d’un isolant thermique extérieur a un impact important sur l’aspect architectural du bâti ancien (dans l’étude, cette solution n’a été testée que dans un cas particulier, pour une façade peu vue) ; la pose d’un enduit extérieur à capacité isolante est parfois possible s’il est perméable à la vapeur et peut représenter une alternative s’il est posé de façon à restituer l’aspect architectural initial ;
• la conservation et l’amélioration des fenêtres et portes existantes (mise en œuvre de joints, remplacement des dormants, mise en œuvre de double fenêtres, de doublage, etc…) s’avèrent, du point de vue énergétique, presque équivalentes à leur remplacement, lorsque les murs sont isolés, permettant ainsi de concilier performance et préservation complète de la valeur architecturale des façades ;
• les actions de rénovation énergétique impactent le confort d’été, de manière plus ou moins importante suivant les scénarios ;
• le choix de l’isolant et la qualité de sa mise en œuvre sont essentiels pour préserver l’équilibre hygrothermique initial des murs anciens : ainsi les matériaux conventionnels présentent un risque accru en comparaison aux matériaux bio-sourcés ou certains matériaux innovants testés (mousse minérale, certains enduits isolant perméables à la vapeur) ;
• la ventilation est indispensable après rénovation et est à adapter en fonction des bouquets d’actions choisis ; le système de chauffage est à améliorer ;
• il est recommandé de faire appel à un architecte et à des entreprises spécialisées et de réaliser un diagnostic du comportement thermique précis du logement ;
• pour les bâtiments situés en espaces protégés, la consultation des architectes des Bâtiments de France, en amont, représente un conseil pour les maîtres d’ouvrage et permettra de bien évaluer les enjeux patrimoniaux.
Surtout, l’étude met en évidence que l’approche de la rénovation énergétique du bâti ancien doit être multicritère, afin de mieux hiérarchiser les avantages et inconvénients, qui sont inhérents à toute démarche de rénovation, et agir avec méthode afin de permettre la comparaison des choix.
Un des enseignements que l’on peut tirer de l’étude est le fait de pouvoir disposer, désormais, d’une connaissance objectivée sur le bâti ancien alsacien, et d’éléments de méthode pour mener à bien une approche qualitative de la rénovation énergétique. Cela peut permettre, en outre, de susciter et nourrir des réflexions visant à la mise en place de critères qualitatifs dans certaines aides publiques à la rénovation.
Enfin, si cette étude a un ancrage territorial, elle peut néanmoins intéresser un large public. En effet, sa restitution a été conçue de telle sorte qu’elle puisse servir de méthode pour d’autres démarches. Le rapport méthodologique est notamment disponible librement au téléchargement. Une application de la démarche « HAA », est d’ailleurs proposée dans le cadre de l’étude menée par le Pays du Bassin de Briey avec l’Institut national des sciences appliquées de Strasbourg (INSA) et le Cerema, concernant des types bâtis représentatifs d’un parc de 15 000 maisons.
Ce travail est un encouragement à un rapprochement des différents partenaires en charge de l’application de cette politique (UDAP ABF, DDT, DREAL, Région, ADEME, Point info énergie, bailleurs sociaux…). Le partenariat DRAC-DREAL favorise notamment la diffusion du message pour des rénovations qualitatives vers les multiples acteurs en région.
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Cette étude-conseil de la DRAC et DREAL du Grand Est pour comprendre et rénover le bâti ancien alsacien est résumée en huit fiches (méthode générale et une fiche par type de bâti étudié), des rapports techniques et méthodologiques, ainsi qu’un état de l’art des pratiques de rénovation, librement téléchargeables sur les sites suivants :
www.grand-est.developpent-durable.gouv.fr rubrique “Ville Habitat Logement Construction durables/ écoconstruction et écorénovation” et www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/Drac-Grand-Est rubrique UDAP (site en construction) ↩